À bord du premier bateau de la nouvelle flotte de la SNSM

À bord de leur canot tous temps vieux de trente ans, neuf sauve­teurs de L’Her­bau­dière voyagent vers Arca­chon pour s’ap­pro­prier leur nouveau bateau : le premier navire de sauve­tage hautu­rier de la nouvelle flotte de la SNSM. Repor­tage lors d’une navi­ga­tion symbo­lique.

Le SNS 17-01 GUSTAVE GENDRON - SIMONE ANITA, à son départ d’Arcachon
Le "SNS 17-01 Gustave Gendron - Simone Anita", à son départ d’Arcachon © SNSM

On croit partir pour une histoire de bateaux et on vit une histoire d’hommes. Le 14 juin 2022 à l’aube. Beau temps, mer belle à la sortie de L’Her­bau­dière, à Noir­mou­tier (Vendée). Nous partons pour Arca­chon (Gironde), où a été construit, au Chan­tier Naval Couach, le futur navire de la station. Ce NSH1 (navire de sauve­tage hautu­rier de type 1) est le premier de la nouvelle flotte de la SNSM.

Voyage symbo­lique et procé­dure excep­tion­nelle pour aller cher­cher un navire très attendu par tous. Dans trois jours, nous revien­drons à deux bateaux. Le niveau sonore dans la timo­ne­rie du vieux SNS 068 Georges Clémen­ceau II réveille autant que le café. D’abord le bruit des deux moteurs diesel Iveco de 400 ch, qui vont tour­ner à plein régime pendant neuf heures malgré leurs trente mille heures de service. Le canot tous temps fait partie des moyens qui ont dépassé les 30 ans et qu’il faut rempla­cer.

Deuxième couche sonore, les inter­pel­la­tions et rigo­lades des neuf sauve­teurs qui ont bien voulu nous accueillir. Elles ne cesse­ront pas, émaillées de patois de Noir­mou­tier. Il ne manque que Bras­sens et Les copains d’abord : Noël, Jean-Pierre, Didier, Benja­min, Jean-Louis, Jean-Philippe, Denis, Jérémy et Patrick. « On n’a pas souvent l’oc­ca­sion de navi­guer long­temps tous ensemble », souligne Noël, le président de la station, pour expliquer leur évident bonheur. « Tous », aujour­d’hui, c’est le président, le patron titu­laire et la plus grande partie des patrons suppléants. Restent à la station tous les autres béné­voles embarqués, indis­pen­sables, qui complètent l’équi­page 365 jours par an, 24 heures sur 24. Au-delà de la tradi­tion de soli­da­rité des gens de mer qui fait risquer sa vie pour les autres, c’est l’ami­tié qui soude les sauve­teurs dans la « famille orange ». Ils nous le disent souvent. Pendant quatre jours, nous la vivons avec eux.

Les sirènes qui se répondent prennent aux tripes

À l’ar­ri­vée devant les passes d’Ar­ca­chon, le canot tous temps de Lège-Cap-Ferret nous accom­pagne pour entrer. Dans trois jours, lorsque les deux bateaux repar­ti­ront – « le papa et l’en­fant  », comme dit Noël –, des béné­voles se seront levés à l’aube pour faire des photos ou bran­dir un drapeau SNSM. Nous serons salués en pleine mer par le canot de sauve­tage et le semi-rigide de la station de La Coti­nière, sur la côte ouest de l’île d’Olé­ron, puis par les embar­ca­tions de Port Join­ville, à l’île d’Yeu, et la vedette de Fromen­tine. Les sirènes se répon­dant pren­dront aux tripes. La famille orange parta­gera sa joie de voir enfin ce nouveau NSH1 rejoindre son port d’at­tache.

À proxi­mité d’Ar­ca­chon, le NSH1, que l’équi­page de Noir­mou­tier attend depuis de nombreux mois, est venu nous accueillir. Il porte déjà le nom de l’an­cien patron, Gustave Gendron, qui a formé notam­ment Noël, Jean-Pierre – le patron titu­laire –, Didier – ancien patron titu­lai­re… Les relèves de bateaux s’ac­com­pagnent de relèves de géné­ra­tions. Trois des neuf qui sont à bord les incarnent. Les anciens en sont fiers. Benja­min est un jeune capi­taine de remorqueur ; Jérémy commande un des bateaux qui desservent le champ d’éo­liennes de Saint-Nazaire ; Jean-Philippe, qui navigue sur les grandes dragues du port auto­nome de Saint-Nazaire, sera bien­tôt un jeune retraité et encore plus dispo­nible. Benja­min, dit « Ben », est déjà consi­déré comme le futur patron titu­laire.

L’équi­page de L’Her­bau­dière va encore vivre trois mois d’es­sais avec les équipes de la SNSM, en présence de tech­ni­ciens du Chan­tier Naval Couach qui l’ac­com­pagnent pour le retour. Il aura tout le temps de parfaire sa prise en main. Noël et ses copains sont fiers de la respon­sa­bi­lité qu’ils prennent vis-à-vis des autres stations et des sauve­teurs en parti­ci­pant à la mise au point de la série.

« Heureu­se­ment que les jeunes sont là », répète Jean-Pierre, lui qui se souvient qu’il y a trente ans, à la récep­tion du Georges Clémen­ceau, « les anciens ne compre­naient rien  ». Pendant ce temps, Ben et Jérémy explorent comme s’ils étaient chez eux la multi­tude d’ap­pa­reils, de boutons et de cadrans de la timo­ne­rie. Le patron est rassé­réné une fois que le tour, bien concret, des coupe-circuits et autres éléments sensibles a été effec­tué. Comme tous les anciens, il est effaré par les alarmes qui se déclenchent sur ce moyen moderne. « Il faudra bien dire aux équi­piers de ne pas toucher à tout », répète-t-il.

Pendant les deux jours de prise en main, les premières navi­ga­tions sont autant d’oc­ca­sions de s’ap­pro­prier ce bateau. La remorque a été roulée dans le « mauvais sens » sur le touret. Tout l’équi­page s’y met. Il manque une pièce pour tester la moto­pompe stockée sur le pont arrière. Les copains de Noir­mou­tier trouvent le raccord provi­den­tiel sur « le Georges ». Patrick, le mécano qui note toutes les imper­fec­tions avec un œil de lynx, n’y tient plus. Il s’em­pare des outils avec Étienne, le forma­teur, pour raccor­der et faire cracher cette sata­née pompe qui ne veut pas s’amor­cer.

Gustave Gendron aux commandes du navire qui porte son nom
Gustave Gendron, ancien patron de la station de L’Her­bau­dière, aux commandes du navire qui porte son nom © SNSM

Au retour vers Noir­mou­tier, sur le Gustave Gendron, l’am­biance sonore a bien changé. La bande est répar­tie entre les deux embar­ca­tions. L’ins­pec­teur de zone et les tech­ni­ciens du Chan­tier Naval Couach sont à bord. Mais, surtout, si l’on ferme la porte de la timo­ne­rie, on est dans le silence d’une première classe de TGV. L’in­so­no­ri­sa­tion est impres­sion­nante. Les six fauteuils suspen­dus aide­ront à encais­ser le gros temps en limi­tant les accé­lé­ra­tions verti­cales et les chocs. Les commandes assis­tées ne demandent pas d’ef­fort. « Il est doux », appré­cie l’un des sauve­teurs. Seules les alarmes troublent trop souvent cette quié­tude.

« Pous­sez-vous de là, que je vois bien l’ar­rière »

À l’ap­proche de Noir­mou­tier, Jean-Pierre ne lâche plus la barre. Il le dit depuis trois jours : « C’est moi qui rentre­rai le nouveau bateau, j’y tiens. » Ben propose de « révi­ser la procé­dure ». Grom­mel­le­ment. « Pous­sez-vous de là, que je vois bien l’ar­rière. » La place n’est pas évidente à prendre devant un gros bateau déjà amarré au ponton. Heureu­se­ment, pas de vent. Jean-Pierre opère un demi-tour impec­cable et posi­tionne le bateau en une seule manœuvre devant la petite foule qui l’at­tend. Il surgit de la timo­ne­rie et détend l’at­mo­sphère à sa manière : « C’est pas bien­tôt fini, cet amar­rage ? » Quelques instants après, Gustave Gendron – l’an­cien patron – est installé sur le siège de barreur et contemple, ébahi, tous les écrans dont disposent ses succes­seurs sur le bateau qui porte son nom. 

Le SNS 068 Georges Clémenceau II était escorté par d’autres moyens de la SNSM
Le SNS 068 Georges Clémen­ceau II était escorté par d’autres moyens de la SNSM à chaque étape de sa route pour Arca­chon © SNSM

Le premier d’une grande armada

Le Gustave Gendron est le premier des NSH1, les plus grands navires de la nouvelle flotte de la SNSM. Ce programme de renou­vel­le­ment de près de 140 bateaux de sauve­tage sur une période de 10 ans pour un montant avoi­si­nant les 100 millions d’eu­ros est possible grâce à toutes les bonnes volon­tés finan­cières, dont les 200 000 dona­teurs privés. Les sauve­teurs en ont profité pour tout remettre à plat et simpli­fier la gamme : six modèles seule­ment du grand NSH1 de 17,4 mètres jusqu’aux jet-ski et petits pneu­ma­tiques des nageurs sauve­teurs. Conçus dans leurs grandes lignes par l’ar­chi­tecte Frédé­ric Neuman et ses asso­ciés, ils ont été préci­sés dans tous les détails par le bureau d’études du chan­tier Couach en coor­di­na­tion avec des utili­sa­teurs. Ils sont plus modernes, plus perfor­mants, plus sûrs pour les sauve­teurs et plus écolo­giques aussi. L’élec­tro­nique est partout. Devant le barreur et le navi­ga­teur, deux écrans qu’ils peuvent orga­ni­ser à leur guise regroupent tous les rensei­gne­ments impor­tants.

Durant l’été, tous les équi­pe­ments du bateau ont été éprou­vés par l’équipe des essais tech­nique opéra­tion­nels (ETO) des sauve­teurs. Ses obser­va­tions permet­tront de modi­fier certains éléments avant le démar­rage de la produc­tion en série. Le bateau est globa­le­ment excellent, mais les nervures de l’étrave vont être revues pour que le pont soit moins mouillé à pleine vitesse et pleine charge. Le range­ment de l’an­nexe gonflable sous la plage arrière va être amélioré. L’écope, dispo­si­tif inno­vant qui descend à l’ar­rière pour récu­pé­rer naufra­gés et plon­geurs, ira un peu plus bas sous l’eau et tout le circuit de la remorque sur la plage arrière va être modi­fié pour plus de sécu­rité. Fin août, il ne manquait que le mauvais temps pour fina­li­ser les essais, expliquait Sylvain Moynault, l’ins­pec­teur respon­sable des ETO.


Article rédigé par la rédac­tion, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°161 (3ème trimestre 2022)